A petite distance de Chambéry deux chemins montent, l'un au gros village de La Cluse, l'autre au Pas de La Cluse. A leur croisée ils forment le carrefour de La Croix, qui fut un nœud très important pour la défense du pays. Il était commandé par un château, que portait, au-dessus du ruisseau du Nant, une butte au talus raide, dont on avait aplani le sommet et régularisé les pentes. Une vaste enceinte flanquée de tours rondes l'entourait. Dans cette enceinte bien orientée, en une vue admirable, le château de La Croix était une grande et très solide forteresse, aujourd'hui en partie ruinée. Cette position, maîtresse de la route, appartint au moyen âge aux premiers comtes de Savoie. Amédée IV, ayant douze frères et sœurs à doter, la vendit en 1234, pour 4000 sous d'or, à Guillaume Dieulefils. La seigneurie passa ensuite par héritage aux La Rivoire, et plus tard, à Pierre de Lambert, président de la Chambre des comptes de Savoie, habile ambassadeur auprès de l'empereur Charles Quint et du roi François Ier, auteur d'intéressants Mémoires. Son fils, Jean Gaspard de Lambert, lui aussi ambassadeur en France, en pleine Renaissance, y prit le goût des lettres et se mit à faire des vers. La fille de ce gentilhomme poète, mariée à Jean de La Forest de La Barre, porta La Croix, dans cette famille. C'est pour son petit-fils, François de La Forest, que le fief fut érigé en comté, en l'an 1640. Le château était alors, aux termes des patentes d'érection, l'un des plus beaux des États. Sa juridiction féodale s'étendait sur Verel- Pragondran et sur les parties des territoires de Saint-Alban et de Bassens qui ne relevaient pas du château dit de Saint-Alban, les héritiers du dernier des La Forest de cette branche, vendirent La Croix, en 1759, à François Louis de Ville.
La maison-forte de la Croix appartenait déjà en 1378 à la famille de la Ravoire. Le 21 avril 1525, Louis de la Ravoire vendait le château et la juridiction avec leurs dépendances à Pierre de Lambert, qui fut ambassadeur de Savoie en France, et dont la petite-fille épousa le seigneur de la Forest. En 1641, Guillaume-François de la Forest, seigneur de la Barre, était créé comte de la Croix. Au siècle dernier, la Croix sortit de la famille de la Forest et fut possédée quelque temps par le marquis Millier de Challes. Noble Louis-François de Ville, qui s'en était rendu acquéreur, faisait le consignement du comté en 1774. La famille de Ville vendit le château, en 1808, à MM. Anthonioz, qui le revendaient ensuite à M. Martin, auquel succéda par héritage la famille Mollard. Depuis 1886, la Croix appartient à M. Charles Schefer, membre de l'Institut, directeur de l'Ecole spéciale des Langues Orientales vivantes. Jadis le château était très important ; il possédait une cour intérieure entourée de portiques et une tour assez élevée, sur laquelle se voyait, dit-on, la croix de Savoie, d'où serait venu le nom même du lieu. Une enceinte fortifiée, flanquée de huit tourelles démolies en grande partie par MM. Anthonioz, régnait tout autour. Dans l'intérieur de cette enceinte, s'en trouvait comme une seconde, formée par un fossé d'une grande profondeur dont une partie existait encore il y, a un demi-siècle. Le château actuel, reconstruit vers le commencement de ce siècle-ci sur l'emplacement de l'ancien, a été restauré avec goût par M. Schefer. On y remarque une vaste bibliothèque, aux ouvrages rares et précieux, et des meubles orientaux d'une grande valeur artistique. Après son abdication, Victor Amédée II qui séjourna plusieurs mois à Saint-Alban, chez le marquis Costa du Villard, se rendait fréquemment à cette belle demeure, d'où la vue va de la vallée qui s'étend jusqu'à l'Isère, aux collines en amphithéâtre qui la bornent et que couronne la grande ligne des Alpes. (Extrait des archives départementales de la Savoie A. ROUGET ; A. VACHEZ. - Monuments historiques de France publiés par départements : SAVOIE. Lyon, [1895], 56 planches, 24,5 x 31,5 cm.)